Souhaitons-nous VRAIMENT l’autonomie de l’autre ?…

Comment une brochette de taupes mortes m'a durablement donné à réfléchir sur l'idée d'autonomie

Comment une brochette de taupes mortes m'a durablement donné à réfléchir sur l'idée d'autonomie...


Une bien étrange coutume

Dans certains coins particulièrement reculés de la Normandie profonde, on peut encore trouver des clôtures de champs agrémentées d’ornements bizarres.

En regardant de plus près, on peut y reconnaître des cadavres de rongeurs. En train de pourrir, en un parfait alignement. Ceux-ci sont habilement épinglés par la peau du dos, à même les barbelés.

Si vous interrogez les paysans locaux, ils vous expliqueront peut-être qu’il s’agit là de cadavres de taupes. Des taupes récemment extirpées de leurs champs par de redoutables spécialistes. Depuis la nuit des temps, ces spécialistes se transmettent de génération en génération les secrets d'une étrange chasse.

De drôles de témoins

Pour témoigner du fruit de leur travail, ces curieux exterminateurs, qu’on appelle taupiers, ont parfois encore l’habitude d’exposer incongrûment leurs trophées de chasse. Pourquoi ? Afin que nul n’ignore leur talent. Manière de permettre à tout un chacun d’admirer une preuve bien tangible de leur savoir-faire si particulier.

C’est ainsi qu’il n’est pas rare de rencontrer toute une brochette de taupes mortes ainsi accrochées à leur fil de fer. Parfois, dans les cas extrêmes, les rongeurs peuvent se compter par dizaines.

Aussi, je demandai un jour à un paysan : "Ces fameux taupiers sont-ils capables d’exterminer intégralement toute une colonie de taupes ?". Il me fut répondu que oui, un bon taupier en est parfaitement capable. Mais que la plupart du temps (du moins jusqu'aux limites du canton… pt'êt' qu'ailleurs c'est-y du pareil au même, et p'têt'ben qu'non) ce professionnel de la profession prend bien soin de laisser dans le champ deux taupes... toujours un mâle et une femelle, qui seront systématiquement épargnés.

Ah, la sagesse de nos terroirs…

taupes modèles. Leur bruit est-il un appel à l'autonomie ? :-)Comme je m’étonnais de cette pratique décidément très étrange, mon interlocuteur me demanda "Vous ne devinez pas pourquoi ?". Au bout d’un moment, pris de pitié pour mon ignorance de citadin mal dégrossi, il m’expliqua. "C’est pourtant bien simple : ainsi, le taupier est assuré de revenir l’année d’après travailler dans le même champ !".

Cette histoire n’a pas fini depuis de me donner à réfléchir. Par exemple, je serais curieux de savoir quelle est la proportion des gens "malins". Des qui devinent pourquoi le taupier laisse un couple de taupes. Je veux dire par rapport à ceux qui comme moi, tombent de trois kilomètres de haut quand on leur raconte le topo.

Peut-on appliquer cette histoire au domaine de la relation d'aide ?...

Commençons par le cadre plus général de la "prestation de service"...

D'abord, je trouve très amusant de réfléchir au nombre de situations vécues dans lesquelles on peut voir quelqu’un se comporter de manière comparable au taupier de cette histoire, dans toutes sortes de domaines d'activités.

Lesquels ? Eh bien je dirais toute forme de prestation de service dans laquelle l'intérêt du "client" est d'être aussitôt que possible en situation d'autonomie par rapport au "prestataire". En clair : de pouvoir se passer de lui !

Mais réfléchissons : jusqu'à quel point cet intérêt rejoint-il celui du prestataire lui-même ? Eh bien cela dépend du prestataire en question, justement.

Prenons un exemple : Si un garagiste répare "trop bien" les voitures, ses clients lui feront peut-être de la publicité (encore que cela n'est en rien "automatique"...). Mais en attendant son garage sera moins rempli par les voitures de ses "clients actuels". Des clients certes autonomes mais surtout absents ... Et ceci par un phénomène inéluctablement "mécanique" ( si je peux me permettre ce rapprochement...).

Maintenant, parlons un peu des services à la personne

Élargissons à présent cette situation aux métiers de l’enseignement, de la formation, de la relation d’aide en général.

Ainsi, jusqu'à quel point les enseignants et les formateurs ont-ils envie que leurs élèvent finissent par en savoir autant qu'eux-mêmes sur la matière qu'ils enseignent, jouissant ainsi d'une autonomie totale ? C'est là une question éminemment personnelle qui, a n'en point douter, trouve autant de réponses... que de personnes concernées !

Un médecin qui soigne "trop bien" ses malades imagine-t-il que sa salle d'attente va se remplir ou au contraire se vider ? Précision importante : c'est à dessein que j'emploie le verbe "imaginer" car le comportement de ce médecin (tout comme la plupart des comportements, d'ailleurs) sera induit avant tout par ce qu'il imagine, précisément ! Pour lui, l'autonomie induite par l'éclatante santé de sa patientèle est-elle réellement un objectif souhaitable ? Et si oui jusqu'à quel point ?

Continuons : Jusqu'à quel point un psy qui "accompagne" (quel joli mot !) un patient sur une longue durée a-t-il intérêt à celui-ci "vole de ses propres ailes" ? En toute autonomie, sans même avoir besoin de lui ? Et surtout, en a-t-il vraiment envie ?

Je pourrais étendre la métaphore à bien des métiers : travailleurs sociaux, thérapeutes, coaches... la liste est très étendue !

Quand ce fonctionnement est érigé en système collectif

Quelquefois, ce déplaisant dilemme n'est plus l'affaire d'une seule personne, mais peut s'étendre à toute une organisation, à l'image de certains services psychiatriques dits "de secteur" qui remettent leurs patients dans la nature après un délai qui est fonction de plusieurs critères, parmi lesquels le nombre de lits disponibles dans le service (ni trop, ni trop peu, cela porte le doux nom de "gestion des flux") arrive quelquefois en bonne place !

Dieu merci, c'est bien parce que tout le monde n'est pas d'accord avec cet état de fait que ce genre d'histoire a pu franchir les murs de l'entre-soi. Et arriver jusqu'à mes oreilles... ainsi qu'à d'autres, forcément.

C’est là que je peux, à l'occasion, finir par ressentir un certain écœurement. Je ne pense pas que des comportements de "taupiers" comparables à mon histoire du début soient l'apanage de telle ou telle activité. En même temps je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il est certains domaines où l'on peut, en la matière, occasionner bien des dégâts.

Mauvais esprit ou doux rêveur ?...

Je ne suis pas seulement un esprit chagrin. En moi sommeille aussi un doux rêveur. Ainsi, dans mes moments d’angélisme, je me prends parfois à rêver d’un monde merveilleux. Un monde d’où seraient exempts les "taupiers madrés" qu’il m’a été donné de rencontrer jusqu’à aujourd’hui. Ou du moins qu'ils se multiplient moins vite que les animaux nuisibles...

Filet (.... de l'autonomie ? Non, n'exagérons pas :-)

 


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Josiane de Saint Paul

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