Je viens de terminer la lecture d'un véritable petit bijou de drôlerie qui "sans avoir l'air d'y toucher" met le doigt dans le mille sur...bien des choses. Il s'agit de l'histoire de l'arche de Noé, mais complètement "revisited" d'une manière on ne peut plus azimutée, on vous aura prévenus.
Je ne résiste pas au plaisir de vous retranscrire ici un extrait de la fin du livre...

C'était joué, avec la bénédiction divine le Diable a pris les commandes, expédié la Création en une petite semaine et depuis lors je peux vous dire qu'il n'a pas chômé. C'en est même impressionnant. Le Mal mondialisé, mais à l'échelle industrielle, en flux tendu.
Suffit de lire les journaux, des gros titres aux faits divers, les annonces matrimoniales, les avis de décès, tout ça sent la patte du Malin.
« Jeune femme, 39 ans au compteur, 48 kilos, bien de sa personne, origines et poitrine modestes, pas d'espérances, importants travaux à prévoir, un enfant (mais placé en apprentissage dans le Gâtinais), aimant la nature, la lecture, les animaux, les sorties et les plaisirs simples, petits besoins, se nourrissant d'un rien (thé, graines, abats), sachant faire la cuisine et ne rechignant pas aux travaux ménagers, même lourds, ouverte aux exigences sexuelles, apports en industrie uniquement, étudie toutes propositions pour refaire sa vie et oublier inavouable passé assez chargé ; avec monsieur même gros et laid, graveleux et cauteleux, sale et vieux. Très bonne situation exigée, belle aisance financière indispensable pour parer à toutes éventualités. Fumeurs ou alcooliques acceptés. Si possible pas d'enfants à charge ni de trop dispendieuses pensions alimentaires. Une résidence secondaire sur la Côte d'Azur serait un plus. Économiquement faibles et amoureux transis s'abstenir: Grabataires, sur dossier uniquement. Merci d'envoyer lettre de motivation, feuille d'imposition + ISF, détail turpitudes et éventuellement photos au Journal, qui transmettra. » C'est pas diabolique, ça?
J'en vois qui doutent. Des idéalistes. Il y a donc de dangereux idéalistes dans la salle. Des partisans du monde ancien, des nostalgiques du Bien, des francs-tireurs de Dieu, des lecteurs de Paul Claudel.
[…] Alors voilà. Le patron, le nouveau taulier, c'est le Diable. Point, à la ligne. Aussi simple que ça. Dieu est à la retraite. Bien sûr au début ça dérange un peu, mais on s'y fait. Croyez-moi. Assez vite, pour certains, si vous voyez ce que je veux dire. L'avantage c'est qu'on donne moins à la messe. Vous le saviez? Non? Convaincu, maintenant? Oui ? Content ? Vraiment ? Bravo ! Dire qu'il y a encore moins d'une heure vous pensiez que c'était l'amour qui gouvernait le monde, avec la bonté, la gentillesse, les nobles sentiments, l'entraide, cette foutue beauté intérieure, la charité, la foi, l'espérance, les vertus cardinales, et tous ces trucs de catéchisme! Vous vous coucherez moins bête ce soir […]. Ça requinque, le Mal, mieux que le Viagra. Le Diable sera content, je l'informerai personnellement de votre toute récente prise de conscience, tardive, certes, mais sincère. […] Notez que si le Diable est le nouveau patron, ça explique bien des choses; tout devient plus cohérent, je dirais même reposant. Pas étonnant que les robinets fuient, que les gardiennes piquent votre courrier, que l' Afrique crève à petit feu, que le dentifrice reste ouvert, et qu'on vende des armes aux enfants. Que les abricots ne sentent plus les abricots, que les femmes séduisantes passent sans me voir, que les lecteurs n'achètent pas mes livres ! Sans compter le bus qui démarre juste sous vos yeux quand il pleut, le stylo qui fuit, la casserole qui attache, le sparadrap qui colle, le code qu'on a oublié, la petite robe qui vous boudine, une haleine de cheval au pire moment, qui devait être le bon – et le banquier qui vous boude une petite facilité de caisse. Inutile de se révolter contre tout ce qui va mal – sans parler des tremblements de terre, de la faim dans le monde, des attentats. C'est normal que ça aille à vau-l'eau, voyons, c'est fait pour ça, c'est dans l'ordre des choses, Dieu n'existe plus, c'est le Diable qui gouverne. Une fois qu'on l'a compris, on respire, on respire mieux. On est libéré. L'ordre des choses. Faire une crasse à son prochain ne porte plus à conséquence. Au contraire. C'est civique. On vous décorera pour moins que ça.Non, vous doutez toujours? Il vous faut des preuves? Des trucs tangibles où mettre les doigts? Vous en êtes encore là! L'Arche, ça ne vous a pas suffi? J'ai affaire à des esprits forts, ce soir. Un conseil tout simple, facile à mettre en pratique : faites-vous votre propre opinion, observez votre belle-sœur, votre voisin de palier, vos collègues de bureau, votre gardienne, votre directeur général, vos propres enfants, votre amant, votre maîtresse. Voyez ce petit air diabolique qu'ils ont tous au coin de l'œil, qui s'allume quand ils veulent vous convaincre de faire quelque chose dont vous n'avez nulle envie – et vous tout pareil, et moi, et mon éditeur, c'est le signe, nous sommes tous enrôlés dans les bataillons du Diable! Ça va valser! Ça va donner! C'est la revanche des otaries! [...] Adieu.

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Né à Strasbourg en 1959, Vincent Wackenheim habite à Paris près du lion de Denfert. Il déplore de n'avoir pu prendre part au Déluge, et n'a jamais rencontré Noé. Alors il nous révèle leur véritable histoire. Un récit mordant et jubilatoire. Amis des bêtes et des hommes s'abstenir.
« En gros, pour Noé, il y a les animaux qu'on mange, ceux (et surtout celles) qu'on caresse, ceux qui bossent, ceux dont on fait des manteaux ou des pulls, ou des boîtes à gants en galuchat, à la limite ceux qui sont juste jolis, mais les autres, la grande majorité, les moches, ceux qui ne servent à rien, les pas bons, les tout durs, les piquants, ceux qui sentent mauvais, ceux dont le nom est imprononçable, la mygale de Rameshwaram, par exemple (Poecilotheria hanumavilasumica), ou le crapaud de Holdridge (lncilius holdridgei), ou la musaraigne-éléphant (Rhynchocyon udzungwensis), pourquoi diable les embarquer? [ ... ] Noé, la biodiversité, ça n'était pas son truc. »
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Le Petit Abécédaire...

"Un ouvrage bien documenté, écrit par quelqu'un qui sait de quoi il parle et qui le fait avec clarté humour et éthique. Les exemples et les conseils sont judicieux et très utiles. Je le recommanderai avec plaisir.."
Josiane de Saint Paul
Quel livre ! Un travail de moine. D'une grande originalité. J'ai à peine commencé à le parcourir et, déjà, je le savoure. Je vais d'ailleurs continuer à le déguster lentement. Bravo !
Serge Marquis
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