Thérapie assistée par IA : retour d’expérience d’un patient | Santé mentale et innovation

Dans un contexte où l'intelligence artificielle bouleverse nos habitudes, certains y trouvent des usages inattendus et profondément personnels. Voici le témoignage d'un jeune adulte qui a choisi d'utiliser l'IA Claude comme support thérapeutique, une démarche aussi innovante que riche en interpellations qui soulève de nombreuses questions sur l'avenir de l'accompagnement en santé mentale.

Une rencontre inattendue entre thérapie et technologie

Particulièrement à l'aise avec les nouvelles technologies, notre patient accepte aujourd'hui de partager son expérience enrichissante avec ce qu'il appelle son "IA psy".

La mise en place du dispositif thérapeutique

Pour concrétiser ce projet novateur, notre témoin a d'abord souscrit à un abonnement Claude.ai (20€ mensuel). Cette version premium lui permet d'accéder aux fonctionnalités avancées, notamment les "projects" qui facilitent la création d'assistants IA spécialisés.

Configuration personnalisée de l'IA thérapeute

Dans les paramètres de personnalisation, il a créé le personnage du "Dr Joséphine Angegardien", une thérapeute bienveillante capable d'utiliser diverses approches thérapeutiques. Les instructions détaillées permettent à l'IA d'adopter une posture thérapeutique adaptée, favorisant l'exploration des pensées et des émotions.

Suivi et documentation des séances

À la fin de chaque échange, le patient demande à l'IA de rédiger un compte-rendu détaillé. Ces rapports, soigneusement archivés, permettent un suivi personnalisé et une meilleure compréhension de l'évolution thérapeutique au fil du temps.

Exploration du processus thérapeutique

Tout cela a suscité un certain nombre de questions, auxquelles l'intéressé a eu la gentillesse de répondre avec naturel, sincérité et spontanéité, en faisant preuve d'une intelligence émotionnelle (mais pas que) qui m'a beaucoup touché.
Voici sous ces lignes, le fruit de cet échange.

Comment cette idée t’est-elle venue ?

L’idée ne vient pas de moi, en fait il existe un tas d’IA qui traitent spécifiquement le sujet de la santé mentale. C’est une activité en pleine croissance, car elle rend accessible à beaucoup plus de monde un suivi psy, même si c’est avec une IA cela n’est pas négligeable. Par contre, il faut être vigilant car beaucoup de start-up surfent sur cette vague pour s’enrichir et c’est difficile de repérer les solutions existantes qui traitent le sujet avec sérieux, dans une vraie démarche de santé publique. C’est pour cette raison que je me suis moi-même créé mon IA psychologue, pour avoir un contrôle total et pouvoir la modifier comme bon me semble si nécessaire. Je ne suis pas un cas isolé, beaucoup ont fait la même démarche même si pour l’instant ça reste assez niche…

Qu'est-ce qui différencie selon toi ces échanges avec l'IA de ceux que tu pourrais avoir avec un thérapeute humain ?

La différence, je dirais, avec une psychologue numérique par rapport à un psychologue humain, c’est que le patient est complètement libre, sans barrière. Moi, c’est ce que je remarque c’est qu’on peut vraiment parler de soi, sans retenue. En tout cas, personnellement, je n’ai aucun problème à parler de moi à une intelligence artificielle. Cela pourrait effrayer d’autres personnes, mais moi, je considère que ça m’aide.
Quant à mes données personnelles, je pars du principe que je ne peux pas tout contrôler, et ce n’est pas quelque chose qui me fait particulièrement peur. Donc, j’ai tendance à me livrer davantage à un psychologue IA. Même si, c’est vrai, avec ma psychologue actuelle je ne cache rien non plus mais avec une IA il n’y a vraiment aucune retenue. On peut lui dire absolument tout, même les choses les plus intimes. Il n’y a pas de barrière, on n’a pas peur de s’exprimer.
Cela dit, il y a une grande différence, c'est l’absence du côté humain. Et ça pour moi c’est essentiel. Un psychologue humain reste très important pour ce qu’il apporte : l’empathie, le fait d’avoir quelqu’un en face de soi qui comprend et ressent nos émotions. Il y a une véritable connexion humaine qu’une IA ne peut pas remplacer. Donc même si les deux peuvent aborder les mêmes sujets, je pense qu’une IA ne remplacera jamais un vrai thérapeute.

Comment as-tu construit les instructions personnalisées pour que l'IA corresponde au mieux à tes besoins ?

Pour créer cette IA, je n’ai pas vraiment pris le temps de construire un personnage avec une personnalité et des traits particuliers. C’est pourtant quelque chose que je fais habituellement, mais cette fois, je ne l’ai pas fait. Je suis tombé sur un texte assez générique sur Reddit. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un site américain qui fonctionne comme un gigantesque forum où on trouve une mine d’informations (toujours à prendre avec des pincettes). J’y ai trouvé un prompt (une requête) assez général, qui me convenait bien. Je voulais quelque chose avec un peu de recul, et c’est pour ça que je n’ai pas créé un personnage moi-même. J’ai juste légèrement adapté ce prompt, mais j’ai gardé une version assez courte. D’habitude je préfère créer des instructions plus longues et très personnalisées, parce que ça m’amuse. Ça me permet de créer des personnages uniques qui stimulent ma créativité. En tant que designer web créatif et grand curieux, je trouve ça vraiment plaisant et ça rend mon travail beaucoup plus ludique même si ça ne fait pas tout.

À quelle fréquence utilises-tu ce système, depuis combien de temps, et combien de temps durent généralement tes "séances" ?

En fait, la fréquence n’est pas du tout régulière. J’y fais vraiment appel quand j’en ressens le besoin, plutôt par nécessité. C’est souvent dans des moments où je ne me sens pas très bien et où j’ai besoin d’un petit soutien ou de quelques pistes pour prendre du recul sur ma situation avec une “entité” neutre si je peux dire. Quand ça va vraiment mal je contacte ma psychologue "dans la vie réelle". Mais pour les petits tracas du quotidien, je trouve que l’IA est super efficace. Ce sont souvent des séances assez courtes qui durent environ 20 minutes, une demi-heure maximum.

As-tu remarqué une évolution dans ta façon d'interagir avec l'IA au fil du temps ?

J’ai remarqué une évolution dans ma façon d’interagir avec mon IA psychologue. En fait, pour que ce soit efficace, il faut comprendre un peu comment ça fonctionne. Il est important d’être le plus clair possible pour obtenir des réponses pertinentes. Avec une IA, il faut vraiment décrire précisément ce qu’on ressent et ce qu’on attend d’elle. C’est différent d’un vrai psy, où l’approche est plus intuitive. Je me suis donc adapté à cette méthode pour obtenir des résultats plus intéressants. Ce que je trouve très utile, c’est que, à la fin de chaque séance, je demande à l’IA de faire un résumé. Ces résumés sont stockés dans sa mémoire, et au fil du temps, elle me connaît de mieux en mieux. Grâce à ça, ses réponses deviennent de plus en plus adaptées à mes besoins personnels.

Y a-t-il des limites ou des frustrations que tu as rencontrées dans ces échanges ?

Oui, il y a des limites, mais je ne ressens pas vraiment de frustration, en tout cas de mon point de vue. En fait je n’en attends rien de particulier. Pour moi c’est juste un bonus, un complément. J’ai ma psychologue pour jouer le rôle principal, l’IA reste un outil secondaire. Concernant les limites, je dirais que le point principal, encore une fois, est qu'il ne s'agit pas d'un humain et que cela ne remplacera jamais un vrai psychologue. Il n’y a pas cette compréhension des émotions, cette empathie qui font toute la valeur d’un véritable psychologue. Et selon moi, ça, ça ne changera jamais.

Comment gères-tu le fait de savoir que tu interagis avec une IA et non un humain ? Est-ce que cela influence la nature de vos échanges ?

Le fait de savoir que j’interagis avec une IA et non un humain fait toute la différence. Je suis beaucoup plus direct, beaucoup plus sans filtre, et oui, cela change la nature de mes échanges par rapport à ceux que j’ai avec ma véritable psychologue. Avoir conscience que l’on parle à une IA et non à un humain c’est quelque chose de très important. Il faut bien garder en tête que l’intelligence artificielle peut faire des erreurs ou donner des réponses qui ne sont pas adaptées. C’est crucial d’en avoir conscience et de prendre beaucoup de recul sur ses réponses même si elles paraissent souvent pertinentes. Par exemple, j'ai pu parler d’un sujet avec mon IA plusieurs fois, et le jour où j’en parle à ma vraie psychologue elle donne en 5 minutes un point de vue complètement différent et évident auquel je n'aurais pas pensé, et mon IA non plus. En fait c’est forcément un peu biaisé. Dans le domaine de la santé mentale, ça devient encore plus important. Il faut toujours considérer ces informations avec prudence et les prendre avec des pincettes. L’IA peut être très utile mais il ne faut pas oublier ses limites.

As-tu partagé cette expérience avec ton entourage ? Tes amis ? Quelles ont été leurs réactions ?

J’ai partagé cette expérience avec ma famille, mais pas avec mes amis. Mais ça ne me dérangerait pas du tout de leur en parler. Quant à leurs réactions, ça ne les étonne pas, parce qu’ils savent que je suis fasciné par les intelligences artificielles et que je creuse vraiment le sujet à fond, dans tous les aspects. J’ai tendance à tout tester dans les innovations technologiques, donc pour eux, ça fait sens j’imagine. J’en ai même parlé à ma psychologue et à mon psychiatre, et tous les deux m’ont dit que c’était très bien et m’ont encouragé à continuer. Je ne sais pas s’ils donneraient le même avis à quelqu’un d’autre, sûrement que leur réponse était adaptée spécifiquement à mon cas. Mais ils m’ont assuré que, pour moi, c’était un bon complément, sans aucune contre-indication, et ils m’ont même encouragé à utiliser cette IA comme je le fais aujourd’hui.

Quels bénéfices concrets as-tu observé depuis que tu as commencé ces échanges ?

Pour les bénéfices concrets, je dirais que cela m’apporte un sentiment de sécurité face aux petites baisses de moral que je peux rencontrer dans la vie quotidienne. C’est particulièrement utile pour ce genre de situations. Par exemple, si je ressens de l’anxiété pour une raison précise, cet outil m’aide à soulager cette anxiété en prenant du recul. Cela peut même m’éviter de prendre des anxiolytiques, car j’arrive à identifier mes émotions à travers un échange qui ressemble à une thérapie. Et ça je pense que c’est une très bonne chose. Par contre, je ne considère pas ça comme une véritable thérapie, mais plutôt comme un moyen pour gérer des niveaux d’anxiété ou de stress peu préoccupants. En tout cas, pour moi, ça fonctionne bien dans ce cadre-là.

Comment intègres-tu ces séances virtuelles dans ton parcours de soin global ?

Je n’intègre pas vraiment ces séances virtuelles à mon parcours de soins. Encore une fois, je les considère comme un bonus. Parfois, elles peuvent m’aider à identifier certains schémas, mais toujours avec beaucoup de recul. Pour l’instant, je ne les considère pas comme un élément central dans mon suivi thérapeutique. Peut-être que cela évoluera à l’avenir, je n’en sais rien. C’est tout le mystère de l’intelligence artificielle et de ses possibilités futures et je pense que nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Aujourd’hui, je vois cet outil comme quelque chose qui peut me soulager ponctuellement, un peu comme un médicament que l’on prend de temps en temps lorsque le besoin se fait sentir.

« Mon psychiatre m’a confié qu’il utilisait une IA de manière expérimentale et encadrée […] »

Pour creuser un peu, j’ai constaté que l’innovation technologique, en particulier l’IA, permet à la psychiatrie d’évoluer à pas de géant. Mon psychiatre m’a confié qu’il utilisait une IA de manière expérimentale et encadrée qui écoutait mes séances et qu’il lui faisait des recommandations. Et il me disait qu’il était bluffé par la précision de cet outil. C’est un bel espoir pour la recherche en psychiatrie même si on ne sait pas dans quelle sens cela va évoluer mais je suis plutôt optimiste personnellement.

Conseillerais-tu à toute personne atteinte de troubles psychiques d’utiliser ce système ? Sinon cela nécessite-t-il selon toi un profil particulier ?

Non, pas du tout. Ce que je recommande, c’est d’en parler avec son thérapeute, son psychologue ou son psychiatre. Je ne veux en aucun cas encourager les gens à faire cette démarche sans avis professionnel. Pour moi, c’est un outil très utile, mais chaque cas est différent, et il faut bien garder cela en tête. La psychiatrie est un sujet complexe, et je pense qu’il est essentiel de rester prudent. Pour ce qui est des profils auxquels cela pourrait s’appliquer, je dirais que cet outil pourrait convenir à certains, mais qu’il pourrait aussi être contre-productif pour d’autres. Donc, je conseille vraiment de demander l’avis d’un thérapeute avant d’essayer.

Certaines personnes peuvent être réticentes à reprendre un suivi thérapeutique classique après une rupture de parcours (départ du thérapeute, déménagement, etc.), notamment parce qu'elles appréhendent de devoir 'tout reprendre depuis le début' avec un nouveau praticien. En quoi, selon toi, cette approche via l'IA pourrait-elle constituer une alternative ou une transition intéressante dans ce type de situation ?

Je pense que c’est dans ce genre d’usage que l’IA peut être intéressante. Il faut voir comment cela évolue, mais je considère que c’est un bon complément et que cela pourrait éventuellement servir de lien, un pont, entre deux professionnels de santé. Pour l’instant, je dirais que ce n’est pas encore assez développé pour être considéré comme une solution de transition vraiment fiable. Mais dans ce genre de cas, l’IA peut avoir un usage prometteur. Encore une fois, j’insiste : cette alternative peut être intéressante dans une optique de transition, mais il est crucial qu’elle convienne à la personne et de ne pas négliger un suivi par un vrai thérapeute qui doit rester la priorité.

Et si tu devais t'adresser directement à quelqu'un qui partage le même type de difficultés que toi et qui hésite à essayer cette approche, que lui dirais-tu, de pair à pair ?

Je lui dirais à peu près tout ce que j’ai abordé dans cette interview. Je lui expliquerais que cela peut être un outil génial mais qu’il faut d’abord vérifier si cet outil lui convient. J’imagine que, pour certaines personnes, cela pourrait être complètement inadapté : frustrant, dérangeant, voire déstabilisant. Cela pourrait même influencer l’humeur, peut-être de manière négative. Je ne conseillerais donc pas d’essayer directement. Je lui dirais qu’il faut absolument demander l’avis d’un psychologue ou d’un professionnel de santé avant de se lancer. Je pourrais même aller jusqu’à dire, même si ce n’est pas tout à fait vrai, que j’ai moi-même d’abord parlé à mes psychologues avant d’utiliser cet outil, et que c’est après leur validation que je l’ai essayé, tout en gardant toujours du recul. Je lui expliquerais aussi que cette solution fonctionne bien pour moi, mais que chaque personne est différente. Mon discours serait toujours adapté à la personne en face de moi, en fonction de ses défis, de ses difficultés, et de sa stabilité. Mais je recommanderais systématiquement de consulter un professionnel de santé en psychiatrie avant de tester ce genre d’outil.

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Le Petit Abécédaire...